La relativité :
Attendre avant de porter
une critique définitive
Pendant le travail, le regard de l'artiste
va de l'ensemble au détail, du détail à l'ensemble.
Inlassablement. Méthodiquement. Il scrute, analyse,
modifie, prend du recul, effectue une synthèse éclair,
juge de l'ensemble, décide des choix à faire,
des corrections à apporter,
avant de replonger sur l'endroit à retravailler.
La même démarche est appliquée au sujet : vue d'ensemble, décomposition, analyse, recomposition, comparaison avec le travail en cours, choix possibles, décision, mise en œuvre.
Dans ce va-et-vient incessant, entre le sujet et l'œuvre, le peintre n'a pas le recul nécessaire pour apprécier réellement ce que vaut son travail. Il ne peut apprécier ce que deviendra son tableau lorsqu'il sera libéré de son sujet, de son attache originelle et voguera seul. L'artiste est dans l'instant. Dans un processus de création. Il lui faudra du temps pour décrypter totalement ce qu'il aura créé. Sur le moment, c'est l'œil du peintre qui travaille.
Un premier avis peut être donné en fin de séance, après une courte pause. D'ailleurs, il est souvent opportun de se réserver de petites périodes de repos pendant le travail. Au retour, des évidences se révèlent qu'on ne pouvait pas voir, le nez sur le tableau. L'œil du maître rétablit l'équilibre indispensable, corrige les erreurs grossières qui se sont glissées.
Mais c'est souvent le lendemain, voire beaucoup plus tard que l'œil de l'expert pourra apprécier à sa juste valeur ce qui a été réalisé.
Lorsqu'un résultat intéressant fait surface, l'artiste ressent de la fierté, un mélange de confiance en soi et d'humilité : c'est moi qui l'ai fait... j'ai été capable de le faire... mais je ne sais pas vraiment comment j'ai fait...
Ne pas s'arrêter en chemin, aller au bout de ses tentatives. Rien ne se passera si on ne persiste pas. Ne pas hésiter à explorer différentes pistes pour ne pas tourner en rond.
Il ne faut pas oublier qu'il y aura des jours sans et des jours magiques. Des jours où rien ne va, où tout semble aller de travers. Mais aussi des instants merveilleux qu'il ne faudra pas laisser passer, qu'il faudra au contraire cultiver. À chaque instant, il peut se passer quelque chose. C'est cela aussi la magie de la peinture.
Accepter les tentatives du passé
Souvent le défi tenaille le peintre, mais le doute, la frustration peuvent le rattraper lorsqu'il ne parvient pas à faire ce qu'il voudrait. Ce qui à certaines périodes peut être assez fréquent.
Accepter ses erreurs comme des essais qui n'ont pas encore atteint leur aboutissement. Comme des étapes qui jalonnent notre parcours, et par lesquelles il aura fallu passer pour arriver là où on en est. Comme des traces dans la neige. Preuve évidente que vous avancez... L'importance de ces étapes ne prendra signification que plus tard.
Garder ces traces précieusement. Beaucoup d'artistes préfèrent détruire ces trébuchements, les considérant comme une faiblesse. D'autres les considèrent avec tendresse, comme on regarde les dessins d'un enfant, tout en devenir.
L'apprentissage ne peut être efficace que par l'expérimentation, les essais, l'observation des productions sans à priori, pour décider et acquérir une ou des techniques privilégiées, correspondant aux thèmes traités et à la sensibilité du peintre.
Appliquer à ces essais le commentaire que l'on fait habituellement aux enfants : « C'est bien ce que tu as fait. », parce que c'était ce qu'il convenait de faire au moment où vous l'avez fait.
Il est possible aussi de ré-utiliser certains de ces supports "qui ne craignent plus rien", et sur lesquels nous n'aurons aucun scrupule à faire des expérimentations (parfois les plus farfelues ou les plus risquées) que nous n'aurions pas voulu tenter sur un support vierge, pour ne pas "gaspiller" du matériel. (voir la partie : récupérer, recycler...). Edgar Degas n'hésitait pas à se lancer dans des essais à risques. Il a su tirer parti de ces tentatives audacieuses.