La vision du peintre (suite) :
On croit qu'on peut tout maîtriser.
Décider de sa vie.
Décider des sujets que l'on va peindre.
Mais ce n'est qu'une illusion.
En fait, on ne décide pas de beaucoup de choses.
La plupart de nos gestes sont automatiques,
voire réflexes. Nos réactions à notre environnement
tiennent pour la plupart à notre éducation,
à notre milieu social, à notre religion,
à notre philosophie du monde, à notre éthique...
Bref ! À beaucoup de paramètres
dont certains ne nous sont même pas connus.
La vraie question est : « Comment s'approprier ce qui se passe autour de moi (nous). Que faire de tout ce matériau qui passe devant moi, qui est à ma disposition ? De cette vie que je sens et cherche à montrer ?... », ou encore :
« Comment réussir à partager avec autrui la vision que j'ai des choses ? ».
Interpréter, exprimer ce que l'on ressent. La question de la représentation fidèle ou de l'interprétation personnelle se posera un jour ou l'autre.
Qu'il soit débutant ou confirmé, nul n'est à l'abri d'un blocage ou d'un échec.
Mais aussi, nul n'est à l'abri d'une bonne surprise, d'un petit chef-d'œuvre.
Bien sûr, avec l'expérience, l'échec devient de plus en plus rare. Ou plutôt, l'artiste saura comment l'exploiter, le récupérer, l'intégrer dans sa démarche.
Apprendre à discerner les pépites dans l'eau et le sable, à voir au delà des apparences, les petits miracles cachés dans l'œuvre.
Le premier outil du peintre c'est l'œil, l'œil qui doit s'éduquer et apprendre à discerner ce qui lui est utile et ce qui est superflu. Cet instrument possède ses qualités et ses défauts. L'artiste doit s'adapter.
La main doit affirmer, révéler la proposition du peintre. Son éducation consiste à répéter des gestes, inlassablement. Des habitudes vont creuser leurs sillons, des réflexes vont faciliter ou entraver l'expression picturale.
Peut-être que le véritable outil du peintre, le premier en fait, est son cerveau. Écartelé entre la perception d'une réalité qu'il croit immuable, et l'application de règles apprises et assimilées, et par ailleurs le message émotionnel, relayé par ses sens, filtré (ou brouillé) par l'activité de son inconscient qui lui dicte une interprétation, une transposition indispensables, sinon vitales.
Restituer avec les faibles moyens dont nous disposons, la complexité de la vie, de notre environnement, les subtilités qui nous émeuvent, relève du défi. Il y a quelque chose de dramatique dans l'élan du peintre à traduire ce qu'il perçoit, comme il y avait du pathétique et de l'émouvant à considérer les tentatives de l'enfant qui rapporte à sa manière ce qu'il comprend du monde qui l'entoure.
Peindre implique un double trajet :
-
exprimer une intention et la projeter sur la toile (le cerveau guide la main),
du mental vers le tableau -
observer l'impact de ce qui vient d'être tracé, en évaluer le ressenti (l'œil informe le cerveau),
du tableau vers le mental.
Peindre, c'est être à la recherche d'un lien. C'est exprimer une empathie pour un sujet. Affirmer qu'un sujet a une certaine résonance en nous. Le peintre va projeter sur sa toile ce que ce sujet peut représenter pour lui. L'émotion qu'il a perçue dans son rapport avec le sujet. Il affirme par son choix qu'il y a un lien entre son sujet et lui. Mais il atteste également qu'il est lié au monde qui l'entoure. Qu'il est solidaire des autres hommes.
Il y a peindre et peindre. Peindre pour soi. Peindre pour les autres. Il faut distinguer l'œuvre personnelle, dans laquelle le peintre travaille pour lui, pour trouver quelque chose, pour se prouver quelque chose, de l'œuvre qu'il doit présenter au public, résultat d'une commande ou preuve de son savoir-faire. L'objectif n'est pas le même. La facture sera différente. Inévitablement.
L'artiste et le public n'ont pas nécessairement la même compréhension d'une toile "aboutie". Pour le public, la surface doit être recouverte, tous les points de la surface doivent être traités de la même manière. Pour l'artiste, lorsqu'il estime que l'émotion y est, l'œuvre est achevée. On peut trouver ainsi des tableaux aboutis pour l'artiste qui ne sont pas ou peu appréciés par le public.