Création,
entre cerveau gauche et cerveau droit :
Haut comme trois pommes...
ou dialogue presque palpable
entre ces deux rivaux pourtant inséparables
et pour ainsi dire complémentaires.
La création est l'interférence entre le monde observable,
nos références apprises et acquises au quotidien d'une part,
et notre apport spontané, issu de notre propre perception,
nos émotions, notre vision intérieure, d'autre part.
Recettes magiques et Formules secrètes
Le dialogue qui suit pourrait correspondre aux échanges entre la partie gauche du cerveau, la toute puissance de la raison, objective, le savoir (2 et 2 font 4 !), sa dictature souvent, renforcée par les codes de la vie en société, l'éducation, et la partie droite, toute de sensibilité, mémoire du ressenti, des émotions, siège du jugement affectif, parfaitement subjectif. Dans cette zone particulière du cerveau tout peut être en demies teintes, en nuances, en plaisir du jeu, mais tout peut être aussi en force, en violence, en énergie. On pourrait représenter cette rivalité, cette rencontre de manière imagée en évoquant les certitudes et les retenues de l'adulte face à l'insouciance ou l'inconstance de l'enfant.
- C'est ça ton sujet ?
- Oui ! Et alors ?
- Mais ce sont des pommes !...
- Oui ! Et alors ?
- J'en vois trois.
- Exact !
- De tailles différentes.
- Encore exact ! Et alors ?
- Oh, arrête avec tes questions idiotes.
- Qu'est ce que tu peux en dire ?
- Elles sont vertes.
- Pas tout à fait.
- Bon ! il y en a deux vertes et une jaune,
si c'est ce que tu veux me faire dire.
- Oui ! Et alors ? Tu peux préciser ces couleurs ?
- … Toutes tachées. Il y en a même une qui est pourrie.
- Oui ! Enfin presque. Personne n'est parfait. Mais ça ajoute des nuances subtiles à l'ensemble.
- Qu'est ce que tu vas en faire ?
- Je vais les observer.
- Elles ne sont même pas bonnes à manger !
- Qu'est ce que tu en sais ?
- En tout cas, moi, je n'en voudrais pas. Franchement, tu n'as rien d'autre à nous proposer ?...
- Chut !...
-...
- Laisse moi travailler. Si tu ne peux rien en tirer, moi, j'ai envie de m'amuser avec elles. De contempler ce rayon de soleil qui les éclaire, les zones d'ombres qui les assoient sur la table, d'observer leurs nuances, leurs particularités, leurs défauts, qui sont autant de blessures qui m'interpellent. Autant de signes singuliers qui font que ces pommes sont ce qu'elles sont. Elles me racontent leur vie.
- Si tu le dis...
- Chacune d'elles me rapporte une histoire, son histoire, et pourtant c'est l'ensemble qui m'intéresse. Ces teintes. Ces éclats de vert.
- Éclats de verre ?...
- Ces taches... Lumineuses... Et j'ai envie de noter tout ça dans quelques croquis.
- Si c'est ce que tu souhaites...
- Laisse moi juste un moment. Après, tu feras ce que tu voudras.
-...
Si vous avez un groupe de personnes devant vous, vous ne pouvez les voir toutes simultanément de manière individuelle. Votre regard va errer de l'une à l'autre et s'arrêter sur celle qui parle ou qui fait un mouvement. À moins que vous n'ayez reconnu quelqu'un. Votre œil ne peut en un instant tout appréhender, tout comprendre. Pourtant c'est le sentiment que nous en avons. Comme une révélation, en un éblouissement, une perception surgit, et éclaire notre compréhension. Une découverte assez intime du sujet. Comme un message personnel, une surprise, une attraction.
La magie, c'est qu'il y a parfois des portes qui s'ouvrent. Il faut être là au bon moment. Repérer ce qui est en train de se passer et savoir le respecter. Avoir l'œil. Sans précipitation. Sans à priori. Quand tout à coup vous le percevez, vous pouvez avoir comme un coup au cœur. Vous ne comprenez pas tout de suite ce qui se passe, mais vous savez que c'est là. Devant vous. Il y a quelque chose du coup de foudre. Enfin presque. Inexplicable. Inattendu. Inespéré. Un ensemble complexe de circonstances. Et une certaine émotion.
Ce qui fait la différence entre deux œuvres traitant du même sujet, c'est la portée universelle. Le fait que le peintre, en usant de messages non verbaux dans le tableau, communique avec le public. Celui qui regarde se retrouve dans ce qu'il voit, et perçoit instantanément quelque chose qui n'est pas exprimé par des mots, ou des phrases. Une perception primaire, instinctive, suggestive plus que descriptive, qui va au-delà du connu ou de l'identifiable. C'est vague. C'est flou. C'est vaporeux. Mais c'est là !... Et tout le monde ou presque peut s'en apercevoir.
Les quelques oeuvres que je présente ici, sélectionnées pour vous,
ont été le fruit (sans jeu de mots) d'une séance d'environ deux heures,
à contempler ces pommes de mon jardin, destinées à entrer dans une compote maison.
Et pour certaines personnes à qui j'ai montré ces essais,
leur représentation préférée n'était pas systématiquement celle qui paraissait la plus aboutie.
À chacun ses goûts !...
C'est dans le silence, une sorte d'ahurissement, de stupéfaction du mental, d'acceptation tacite de la situation, que le cerveau droit va prendre le relais, et pouvoir tranquillement assumer ses choix.
« Il y a toujours beaucoup plus à voir que ce que l'œil peut capter » disait Pina Bausch, danseuse et chorégraphe.
Au delà des mots, des descriptions, des apparences vite cernées, il y a la présence du sujet, sa place dans l'espace, sa silhouette, son empreinte particulière.
Et c'est cela qui est fascinant.
Non pas que les pommes soient posées sur la table et qu'elles appartiennent à telle ou telle espèce, mais les différents volumes colorés juxtaposés, leurs formes originales, les nuances de leurs couleurs, les jeux de la lumière à leur surface, l'ombre portée sur la surface de contact...
Autant d'éléments parfaitement abstraits, s'ils sont pris séparément.